NANTES : Dis, chauffeur, comment rouler avec la peur ?
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Dis, chauffeur, comment rouler avec la peur ?
Trois bus ont été caillassés ces derniers jours à Nantes. Les chauffeurs de nuit expriment leur malaise, voire leur peur.
Commerce. Le noeud ferroviaire de la Tan et le coeur du problème, ce mercredi soir. Au départ des 6 lignes de bus de nuit, les chauffeurs attendent 21 h 30, heure de la prise de service. À leurs côtés, 12 agents de prévention de la Tan qui les accompagnent depuis 1998. Ce mercredi, la foule des grands soirs. Des délégués de la CGT sont là. Il y a aussi le chef d'exploitation de l'entreprise et deux équipages de policiers (qui disparaîtront, sirènes hurlantes dix minutes plus tard, appelés sur une autre intervention). Pourquoi cette effervescence ? La veille, pour la troisième fois en quelques jours, un bus a été pris pour cible dans un quartier de Nantes. « Un simple caillassage », admet la Tan. « Peut-être même de la chevrotine », imaginent les chauffeurs qui ont fait jouer leur droit de retrait, mardi soir.
Hocine, 58 ans, conduit des bus à Nantes depuis 30 ans. « Les risques sont imprévisibles, c'est usant ».
« On y pense, forcément. »
Voici donc Éric et Alain, cégétistes, au chevet des troupes. « Vous savez, vous aussi les agents de prévention, vous pouvez faire jouer le droit de retrait si vous vous sentez en danger. » Du danger, pas sûr, de la peur, oui. En France, les bus ont été violemment pris pour cible. « Marseille, Paris, c'est chaud. On y pense forcément quand on arrive dans les quartiers. » « Il ne faut pas confondre danger et sentiment d'insécurité, plaide le directeur d'exploitation de la Tan, venu pour l'occasion. Jamais les chiffres d'agression physique sur les chauffeurs n'ont été aussi bas. »
En aparté, Alain, chauffeur, grogne. « Ils ne comptent pas les crachats, ni les insultes. Ça peut être pire que de prendre un coup. Et, depuis l'arrivée de la vidéosurveillance embarquée, les jeunes n'agressent plus à l'intérieur, ils caillassent, c'est pas mieux. » Brice, agent d'accueil, embraye : « En trois semaines, on a aussi trois agents de prévention qui ont été agressés. Ça non plus, on le dit pas. »
Le moteur à explosion démarre. Dans les âmes, les agressions, souvent anciennes, restent indélébiles. « Moi, je me souviens de passagers qui ont fini leurs parcours couchés dans le bus, pour éviter les projectiles. » La nuit amplifie le grand déballage. « Moi, avance ce vieux de la vieille, j'ai connu au moins trois agressions : on m'a braqué avec une arme, un pavé a éclaté mes vitres et, cet été, mon bus a été caillassé. » L'inventaire tape sur le système. Éric Blin, chauffeur CGT : « Le métier a changé. Certains collègues peinent à s'endormir quand ils rentrent chez eux. »
22 h 30, départ de la ligne A, qui file à Sainte-Luce-sur-Loire, via Malakoff. Hocine est au volant avec un sourire désarmant. « Je suis né avec, je le garde. » Il chante parfois au micro, papote avec les clients. « J'ai 58 ans et je conduis depuis 30 ans. Si j'en souffrais trop, j'aurais changé de métier. » C'est un volontaire de la nuit. « Dans ces heures, c'est moins l'usine, le contact est meilleur. »
« À la merci des voyous »
Le bel enthousiasme s'écorne en pénétrant dans Malakoff. « Ici, je regarde à gauche, à droite. Je fais attention. Même si, au bout du compte, je suis à la merci de petits voyous. » Un agent de prévention abonde : « En plus, ici, avec la démolition, ils ont des munitions, des pavés qui traînent. »
Les chauffeurs ne comprennent pas les attaques. « C'est imprévisible, donc usant. » Cet homme à la chevelure d'argent parle d'or. « La police dans les bus · C'est comme une aspirine pour un migraineux. Ça soulage, mais ça ne règle rien. » Il n'est pas de ceux qui pensent que les uniformes résoudront le problème. « Dans les quartiers chauds, mieux vaut aider les habitants ou les associations qui travaillent. » Justement, le bus quitte le quartier et reprend sa route le long de la Loire, vers Doulon. « Ahhh. Quand on sort, on se sent davantage en sécurité. Inspiré par le paysage, il précise. Comme un bon nageur qui traverse la Loire. Arrivé sur la rive, il respire. » Un jeune passager venu de Roubaix s'en mêle. « Moi, ce boulot, j'en voudrais pas. Ils risquent d'être attaqués, alors qu'ils sont au service du public. C'est dégueulasse. »
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